Ashley était installé dans son fauteuil, la tête prise entre ses mains tremblantes. C’était sans doute la première fois depuis qu’il était le propriétaire du Death Note qu’il se sentait pris d’un tel sentiment de haine vis-à-vis de lui même. Son désir de rendre la justice, d’œuvrer pour le bien s’était retourné contre lui, de façon si violente qu’il était devenu comme ceux qu’il traquait depuis des années. Le Directeur du BAEDSN avait un goût de métal dans la bouche, sans doute à cause de sa langue qu’il serrait le plus fortement possible entre ses dents.
Il avait tué une vingtaine de personnes, ne pensant qu’à sa carrière, mettant de côté tout ce qui faisait de lui une personne bonne et fière de ses choix. Sa mauvaise foi ne pouvait plus avoir le dessus maintenant. Il ne voulait pas non plus se laisser berner, qu’il en oublie tout, qu’il s’invente un monde où les atrocités commises auraient été minimisées, où il se serait retrouvé lui-même la victime de ses propres actions qu’il considérait jusqu’alors comme justes.
Il avait toujours été mis au ban, tout ce qu’il faisait était toujours remis en cause par d’autres, ces mêmes personnes qui pensaient faire mieux que lui, ces jaloux qui ne voyaient en son travail que le simple besoin de se montrer supérieur. Il aurait pu tous les tuer, s’il en avait eu envie, pour se venger, mais il préférait maintenant faire table rase et partir. Partir loin de ces crimes pour ne plus jamais en revenir. Elizabeth rêvait d’aller dans les îles du Pacifique pour leurs noces, peut-être pourraient-ils partir maintenant et y vivre. Il n’aurait qu’à se faire porter pâle, on classerait son dossier sans doute… A force, il savait comment fonctionnait le système. Mais il restait un détail.
Le Death Note était caché entre d’épais dossiers prenant peu à peu la poussière. On retrouvait là toutes les enquêtes menées par Ashley, et au fil du temps il fallait rajouter des étagères, et fort heureusement, jamais personne ne venait ici consulter les rapports. La main fébrile d’Ashley le prit d’entre les dossiers et il l’ouvrit à la dernière page où des noms y avaient étés marqués. On retrouvait ceux des membres de diverses agences gouvernementales, tuées simplement pour qu’il accède à son poste actuel, qui, comble de l’ironie, allait être cédé.
Le prenant avec son porte-document, il quitta le bureau. Par habitude, ou peut-être car il ne voulait rien laisser traîner, il vérifia une nouvelle fois que la pièce était parfaitement propre et rangée. La nostalgie allait sans doute le prendre un temps, de ne plus pouvoir diriger à sa guise ces hommes et ces femmes qui se battaient pour leur pays, dans l’ombre, sans que jamais on soit au courant de leurs activités. Il traversa le corridor le menant jusqu’à l’ascenseur comme il le faisait depuis plus de cinq ans. Chaque jour, sans aucune exception. Voilà à quoi l’avait réduit le Death Note.
La remontée vers la surface était pour Ashley comme une bouffée d’oxygène. Il se sentait soudainement pris au piège au milieu de la foule grouillante des agents qui lui demandaient quoi faire, continuellement, comme s’ils avaient besoin d’être maternés dans leur travail. Tom prendrait la relève, il l’avait déjà fait avec brio à plusieurs reprises.
Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas profité d’un après-midi sans devoir réfléchir à comment arrêter un terroriste ou comment chasser d’autres possesseurs de Death Note. Il pouvait enfin profiter pleinement de la nature, sans la masquer par ses soucis professionnels. Il marcha ainsi au milieu des fausses plantations, s’en allant vers le fond de l’immense terrain. Il aurait pu y aller en vélo, en tracteur ou en 4x4, mais il préférait marcher au milieu des cultures de blé.
Quand il fut arrivé vers la remise du fond, il chercha une pelle qu’il finit par trouver et se décida à enterrer le maudit livre. Mais il fallait que personne d’autre que lui ne puisse mettre à nouveau la main dessus. Ce coin là de la Grange était tout désigné. Il y avait un petit bout de terre laissé en friche, cela faisait bien longtemps, d’ailleurs.
Le trou fut rapidement creusé, et ne nécessita que quelques bons coups de pelle pour arriver à quelque chose d’assez satisfaisant.
Ashley ouvrit une dernière fois le Death Note, arracha les pages où étaient notés les noms des victimes qu’il avait causé, en pris quelques autres au passage, et jeta le cahier dans le trou, prenant grand soin de bien tout recouvrir. Le coin était entouré d’orties et d’hautes herbes, personne ne viendrait chercher ici, avant longtemps.
Glissant les bouts du cahier dans l’intérieur de sa veste, par ailleurs tâché de boue, il fit demi-tour et ne se retourna plus, pensant déjà à autre chose.