Mort suspecte au Staple Center*

* Le Staple Center est un complexe sportif situé au centre de Los Angeles, et qui peut également accueillir des concerts pouvant réunir 20 000 personnes.

La journée avait pourtant bien commencée. Les répétitions, le placement de Mari sur scène pour qu'elle ne puisse pas tomber lors du concert, les interviews diverses, les scéances photos et les premiers préparatifs pour le clip qui allait être tourné ici, tout semblait se dérouler comme sur des roulettes. Mais voilà, rien ne pourrait se passer correctement quand on s'appelle Mari et qu'on vend des milliers et des milliers de cd chaque jour. Et pour une premier voyage aux Etats-Unis dans le cadre de sa carrière, ça ne pouvait pas se passer sans une catastrophe !! Et une de taille de surcroît. La pauvre Mari était à présent enfermée dans sa loge, en sécurité, chacun craignant que quelqu'un veuille s'en prendre à elle.

Emily Nakamura. 17 ans. Gagnante du concours organisé par le grand magazine Love Berry. Le concert en VIP, avec une rencontre avec Mari avant le concert, et une journée complète de shopping le lendemain avec la star. C'était dire qu'il y avait eu énormément de participations. Et c'était Mari qui avait désigné la gagnante. Le concours était simple : écrire une lettre à la chanteuse pour lui faire savoir en quoi elle comptait pour eux. Et la lettre d'Emily l'avait beaucoup touchée. D'un milieu modeste, la jeune fille avait trouvé en Mari une sorte de courage face aux épreuves. Et grâce à la jeune artiste, elle avait trouvé le courage de voir le positif dans chaque chose, et de se mettre à écrire vraiment, car tel était son rêve. Devenir écrivain. Et même si elle savait qu'elle avait encore du travail, elle s'y était mise, et espérait un jour pouvoir faire lire à la chanteuse ses premiers travaux.

La motivation, la détermination d'Emily, qui n'avait jamais eu l'occasion d'assister au moindre concert ou de quitter sa petite ville du Dakota lui avait donné envie de lui offrir cette soirée et cette journée.

Emily Nakamura. Gagnante du coucours organisé par le grand magazine Love Berry, retrouvée morte à 17h53, dans le hall de la salle de concert, alors qu'elle devait retrouver l'artiste à 18h. Et pourtant elle était en parfaite santé. Et apparemment, aucune trace de coups sur le corps de la victime. Ni coup de couteau, ni traces de balle. Mort aussi suspecte qu'étrange qui laissait la jeune Mari dans un grand désarroi. Car la jeune femme s'en voulait terriblement. Elle craignait, après tout ce qu'elle avait entendu, qu'un détraqué avait voulu s'en prendre à elle en s'attaquant à la jeune gagnante. Elle se sentait.... perdue, et terriblement seule soudainement. Car tout le monde s'inquiétait de sa sécurité, mais personne ne s'inquiétait de ce qu'elle ressentait. Et elle se sentait traumatisée. Profondément apeurée et fébrile en cet instant. Profondément seule....

Quelques trois heures plus tard, John était à l'aéroport de Bob-Hope, et quelques trois minutes plus tard, John se trouvait dans une voiture de police banalisée, grise, portant le symbole de Chevrolet et dotée d'un flic-chauffeur pas bavard ainsi que d'une bleusaille toute excitée. Une bleusaille excitée et armée d'une grande gueule.

Ainsi, en quelques trois heures et quelques minutes, John Thrawn avait été arraché de son univers familier de New York pour les anges de l'une des plus gigantesques métropoles américaines. Le temps de saisir son téléphone et de maugréer un "ouais, allô ?" dans le combiné, et on le requérait pour une mission d'importance. On le "requérait" pour une "mission d'importance". Sûr que la victime devait avoir le bras long, ou bien que les autorités avaient besoin de fouiller à nouveau son appartement et interroger ses voisins, à lui, ce brave flic honnête et tout le toutim.

Bref, le voilà affalé et ronchon à côté d'un inspecteur aussi locace que... que... enfin très locace.
— La victime est morte à l'entour des dix huit heures (on a découvert le corps à 17H53 précisément, un fan qui passait). Gamine du Dakota. 17 ans, père asiatique, au chômage, mère secrétaire d'une petite boîte, de race blanche... Aucune trace dans nos dossiers. L'inspecteur Garfield pense à une crise cardiaque... vous savez, comme ces cas, il y a quelque années...

Il se tut, pour la première fois du voyage. C'était pourtant le genre de type qui vous demanderait comment va votre Yorkshire alors que vous évacuiez vos mauvaises ondes dans un urinoir.
Alors John tilta.
Ouais, bien sûr. Kira. Ils pensaient tous à Kira. C'était l'une des plus grandes obsession de la police de ce début de siècle, l'affaire Kira. Un riche, une suspicion de la maison, ou Kira. Quelles autres conneries pour expliquer l'envoi sur place de "notre meilleur élément" ?

Etrangement mal à l'aise avec ce silence aussi lourd qu'une chape de plomb, John en profita pour jeter les bases d'une hypothèse.
— Ecoutez, on parle d'un gymnase rempli à ras bord de fans déchaînées, d'une chanteuse de pop et de Los Angeles. L'effet secondaire d'un cacheton, d'une nouvelle drogue ça ne vous paraît pas possible ? J'ai lu que cette gamine était en échec scolaire. Elle se noie dans les bouquins et doit certainement vénérer cette chanteuse, là... Mari, voilà.

Comme pour marquer son indignation pour une logique aussi morbide appliquée à une jeune fille si pure (du Dakota !), le jeune homme plongea son regard dans le sien, une moue de dégoût figeant son visage. Sûrement un ancien de la campagne, s'admonesta Thrawn, tu sais bien que les bouseux n'aiment pas ce genre d'hypothèses.
— Nous l'apprendrons pendant l'autopsie, finit-il par lâcher, amer.
Satisfait de la tournure de choses (sic), il sortit une cigarette de son étui rigide et argenté puis un colibri à la flamme disproportionnée.
Et la voiture se remplit d'une fumée se teintant des argents et des ocres des lampadaires de l'autoroute, plongée dans un mutisme mêlé au ronronnement du moteur. Il était 22H00.
On arriva au Staple Center à 22H45. Les flics avaient eu la gentillesse de ne pas prévenir (tous) les médias ni les jeunes groupies - qui auraient d'ailleurs pu boire le sang de ces derniers en les voyant prendre les derniers instants d'une star écroulée à leur place. Les flics avaient aussi eu la gentillesse de garder enfermé tout le personnel de la structure ainsi que l'équipe de la chanteuse. La chanteuse comprise...
Un autre fait qui faisait un peu plus pencher la balance pour le "cas Kira". Et dire qu'on lui avait demandé d'y aller avec douceur...

Après avoir serré quelques mains, écouté les dernières nouvelles ("L'autopsie se fera pendant votre interrogatoire", "elle est venue avec une amie"), et pris une tasse de café, et un coup de flotte sur le visage, et écouté le briefing, et puis les conseils des inscpteurs locaux, etc., etc., il se dirigea enfin vers la loge de la starlette, pas plus enchanté que ça.
A vrai dire, il n'avait jamais entendu ses chansons, mais il savait que ça se vendait comme des petits pains, et que ça avait été financé par le père, un riche propriétaire de resorts et autres hôtels internationaux. Un point de plus pour l'histoire du jeu des relations comme cause de sa venue à L.A.

Bref, il se dirigea vers la loge, ouvrit la porte, tendit son badge vers une jeune femme, - une gosse - accompagnée d'un flic à l'air patibulaire.
— Mademoiselle Nakashima ? Inspecteur John Thrawn. J'aurais quelques questions à vous poser...
Il fit un geste du chef au policier, qui s'en alla, la mine toujours aussi sévère.

Le temps avait paru interminable pour la jeune femme. Elle n'avait pas eu le droit de sortir. On lui avait accordé pourtant un moment pour se rendre aux toilettes, afin de pouvoir se rafraichir un peu,et heureusement qu'elle avait de l'eau dans sa loge, car le stress avait rendu sa gorge si sèche qu'elle aurait été incapable de parler. Déjà aveugle, perdre un autre moyen de communiquer aurait été une catastrophe. Et elle patientait, arpentant de temps à autre le sol de sa loge, se repassant sans arrêt les bribes de conversation qu'elle avait perçue, les choses qu'on avait bien voulu lui dire, bref, elle tentait de reconstituer un puzzle alors qu'elle ne détenait pas toutes les pièces. Et malgré sa mâturité, malgré son rang, elle ne put retenir d'avantage son stress et ses émotions qu'elle se mit à pleurer. Parce que son père n'était pas auprès d'elle, chose rare lors de l'un de ses concerts, mais il n'avait pu faire le déplacement. Et elle se retrouvait donc seule, embarquée bien malgré elle dans une histoire des plus sordides. Même son manager avait été séparé d'elle, se retrouvant dans une autre pièce avec le reste de son équipe. Seul un policier loin d'être très causant était resté auprès d'elle, sans doute pour la surveiller, et pas pour lui venir en aide.

Les heures, la fatigue et le décalage horaire aidant, elle avait fini par s'allonger sur le sofa de sa loge, espérant trouver un peu de repos en fermant les yeux quelques minutes, mais rien n'y faisait. Cette histoire l'obsédait, et tant qu'elle n'aurait pas les réponses à ses questions, elle ne pourrait pas trouver le repos. Elle s'en voudrait certainement très longtemps,et il était certain qu'elle n'accepterait pas un nouveau concours de si tôt, pas après ce qui était arrivé ce soir à cette jeune fille qui n'avait jamais rien fait à personne.

Nombre de fois elle avait pensé à demander quand elle pourrait partir, mais elle ne l'avait pas fait. Elle se disait bien qu'il y avait sans doute une bonne raison à tout cela, et elle devait s'estimer heureuse d'être encore en vie contrairement à la jeune Emily. Elle n'avait pas pu appeler son père. Le policier lui avait pris son téléphone avant qu'elle n'ait pu le faire. De ce fait, il n'était même pas au courant de ce qui était entrain de se passer. Mais quand ce nouveau policier entra, la jeune femme crut qu'elle allait enfin avoir des réponses. Mais ce ne fut pas le cas. On venait l'interroger. Assise sur le sofa, elle n'en bougea pas. Elle percut seulement les pas de l'autre policier qui quittait la pièce et la porte se refermer.

" Des... Questions? " répéta-t-elle, pour être sure d'avoir bien compris. Elle était bien chamboulée, Mari. " Je... je ne sais même pas ce qu'il s'est réellement passé " avoua-t-elle d'une voix chevrotante.

Une bouffée de colère embrasa John. Il venait de se taper un trajet de tous les diables pour une affaire rocambolesque, même pas digne d'un contractuel. Et en plus d'un briefing de merde, il avait le droit à la jeune fille innocente.
Au début il avait eu envie de lui cracher la vérité à la face. "Oui, la grande gagnante de votre putain de concours est morte avant même de vous recontrer. Quelle tristesse, encore une rêve gâché. Et le comble, c'est qu'on vous soupçonne déjà d'être une aberration, un Kira en puissance, quelque chose de ce genre-là. Alors, qu'avez-vous à dire pour votre défense ?"

Mais bien sûr, la mine dépitée de la jeune fille et la cigarette qu'il tira de son étui le retinrent. Aussi, il montra doucement sa cigarette allumée et lui dit, goguenard.
— La fumée de cigarette vous dérange-t-elle ?

Il lui tourna le dos. Il l'avait fixé pendant qu'il allumait son tabac. Elle avait l'air défaite. Ses yeux semblaient fixer le vide avec appréhension.
Il mit ça sur le choc psychologique, le traumatisme. Cette idée le radoucit un peu. Bien sûr, son petit sort restait plus important, mais la noblesse, l'innocence malheureuse que reflétaient les traits réguliers et juvéniles de la jeune chanteuse auraient même touché le coeur le plus dur.
— Oui, j'ai des questions à vous poser. Si vous voulez vous reposer avant que je vous parle de ce qui s'est passé, je peux mettre une voiture à votre disposition. Ce doit être une situation difficile, pour une jeune femme telle que vous.(Il s'exclaffa intérieurement : une situation difficile !) L'incident de ce soir est plutôt important, aussi, je comprendrais si vous n'aviez pas l'envie de l'entendre ce soir, et attendre un peu avant que je vous apprenne ce qui est arrivé à Emily...

Ce qui était d'abord de la compassion non feinte était vite devenue la bonne tactique pour passer pour le bon flic. Celui qui propose un répit à cette jeune fille aux portes de la dépression et frustrée par les privations.
Enfonçant le clou, il demanda de la voix douce du gentil flic.
— Alors, voulez-vous vous reposer ? Voulez-vous savoir ce qui est arrivé à la petite Emily ?

A l'entrée de l'inspecteur, Mari avait senti l'atmosphère devenir bien plus lourde et étouffante, et pas seulement à cause de la cigarette que John venait d'allumer sans vraiment attendre la réponse à sa question sur la fumée. Bien évidemment que la fumée la gênerait !! C'est une chanteuse !! Elle n'a pas besoin de se faire étouffer par le tabac alors qu'elle vient de passer des heures dans une pièce close. Mais elle se contenta de secouer la tête, ignorant que le policier lui avait tout simplement tourné le dos. Elle resta silencieuse, écoutant attentivement tous les mouvements de l'homme, attendant qu'il prenne la parole. Et cette façon de lui parler aurait tôt eu fait de la mettre en colère si elle n'avait pas été si bouleversée ni capable de garder son sang froid. Quels étaient donc ces sous-entendus? Pourquoi parlait-il de cette façon, avec cet air faux, cette compassion inventée?

" Je n'ai pas besoin de me reposer !! Je suis ici depuis des heures, personne ne m'a rien dit, personne n'a voulu me mettre au courant sur ce qui était arrivé à cette jeune fille. Alors non, je ne veux pas me reposer, je veux savoir !! " annonça-t-elle en relevant la tête vers lui, arborant un visage résolu. " Que croyez-vous? Que sous prétexte que je suis une artiste, je ne moque de ce qui a pu arriver à Emily? Pensez-vous que je sois si horrible que cela? " demanda-t-elle dans un anglais impeccable où perçait néanmoins son accent japonais. " J'ai été enfermée ici, on a pris mon téléphone portable, alors oui, j'exige des explications !! "

John tira une autre bouffée de tabac, placide. Il s'était écarté de la jeune chanteuse pour pouvoir éviter tout contact et, à sa plus grande honte, pour contempler le beau spectacle de la débâcle dans laquelle se trouvait son principal témoin. C'est vrai quoi. Qui à part elle avait eu contact avec la jeune fille avant qu'elle ne meurt ? Les parents, oui. Tout autant dire personne.

John remplit à nouveau ses poumons de nicotine puis, après un silence de mise, il répondit aux questions qu'on lui posait.
— Bien. Ecoutez, Emily est morte juste avant votre rencontre, à l'entour de dix huit heures moins cinq. La criminalité ayant pris un sacré coup il y a quelques années, la police fait de l'excès de zèle. D'où tout ce remue-ménage.
Le fait est que sa mort est étrange. On n'a trouvé aucune trace pouvant expliquer le décès. L'autopsie n'a pas encore eu lieu, mais à première vue, votre fan n'avait aucune raison de mourir...
Aussi, sans indice ni piste, on m'a envoyé à vous. Vous êtes la seule personne reliée à mademoiselle Nakamura. D'ailleurs, j'ai appris que vous aviez correspondu avec la défunte. Vous avez encore les lettres ?

Silencieuse, Mari écoutait attentivement chaque parole de John, glânant ainsi les quelques informations que l'on avait refusé de lui donner. Mais elle restait perplexe face à certaines choses. Certes, cette jeune fille n'avait aucunement mérité de mourir, mais des personnes en bonne santé mourraient chaque jour. Rupture d'anévrisme , crise cardiaque, parfois, il suffit d'un rien. Alors en quoi cette mort était-elle plus étrange qu'une autre? Et en quoi y serait-elle mêlée? Serait-elle menacée, comme elle l'avait pensé plus tôt, et aurait donc mis la vie d'Emily en danger en la laissant s'approcher d'elle? Mais si c'était réellement lié à elle, son père, ses proches n'auraient-ils pas déjà été en danger ou menacés?

Fronçant les sourcils, elle opina du chef quand il fit référence à leur correspondance. Oui, effectivement, elle avait correspondu avec la jeune Emily, pour apprendre à la connaître, pour la rassurer, pour qu'elle la voit comme une amie et non pas comme une idole, pour que, le jour de leur vraie rencontre, elle ne se sente pas stressée et mal à l'aise face à elle.

" Je lui envoyais des mails que je dictais à Akiko, mon assistante. Elle a tout conservé sur son ordinateur portable qu'elle a avec elle. Elle doit être avec le reste de mon équipe. " répondit-elle avant de rester un moment silencieuse. Elle se repassait chacune des paroles de John, chaque bribe qu'elle avait perçu avant sa venue, bref, elle tentait de se faire son idée en tentant de découvrir en quoi elle serait liée à tout cela.

" Qu'est-ce qui vous fait croire que cette mort soit liée à moi? A ma connaissance, je n'ai jamais été menacée, on n'a jamais tenté de me faire du mal. Même très jeune, l'équipe de mon père a réussi à empêcher mon enlèvement. On en voulait à l'argent de papa et un groupe d'hommes avait tenté d'orchestré mon kidnapping. Mais ils n'y sont jamais parvenus. Et depuis, il n'y a jamais eu aucun souci, alors pourquoi? "

Derrière sa fin de cigarette, un sourire déforma le visage morose de l'inspecteur Thrawn. Il se voyait mal annoncer à la brave fille que la police s'était dirigée aveuglément sur le seul chemin rendu possible par l'absence totale d'indices : Kira.

C'était le cas Kira qui l'avait cloîtrée dans sa loge. C'était le cas Kira qui l'avait amené à L.A. C'était le cas Kira qui permettait tous les abus possibles. La répression policière, le mutisme médiatique, il n'avait rien contre, sauf lorsqu'il était encouragé par la classe politique craignant le retour d'un Juge divin - ou démoniaque. Il connaissait trop les moyens des Etats-Unis pour ne pas entrapercevoir la création d'un Etat policier, comme tout bon citoyen un peu paranoïaque... Depuis Kira, tant de choses avaient changé.

Pas assez con pour mettre sur le tapis cette légende policière, il resta évasif.
— Restez calme, nous en aurons besoin. La situation est plus compliquée que ça. Depuis quelques temps, la police est plus libre et donc plus active. L'événement qui vient de se produire est surprenant, comprenez-le bien. Une jeune fille qui meure lors d'un concert sans aucune raison, à Los Angeles, à quelques pas du berceau du crack... Certains soupçonnent la création d'un nouveau produit.
Bien sûr, ce n'est qu'une hypothèse, et votre éclairage nous aidera.

Reprenons. Dans les lettres de mademoiselle Nakamura, avez-vous ressenti un mal-être, de l'amertume, quelque chose de négatif ? Vous-même, dans vos mels, vous rappelez-vous de quelque chose que vous avez écrit qui aurait pu être blessant, touchant sa sensibilité ?

Kira. Mari en avait plus ou moins entendu parler, mais comme la plupart des jeunes filles, le journal et les infos ne l'intéressaient guère, surtout pour parler de meutres et d'autres choses glauques dans le même genre. Elle préférait à l'époque se mettre des oeillères plutôt que de se rendre compte de la cruauté humaine. Sa grande sensibilité ne l'aurait pas aidé si elle avait commencé à s'intéresser à tout cela. Alors oui, Kira, ça lui disait vaguement quelque chose, mais elle ne savait pas vraiment. Et puis, cette affaire remontait à quelques années déjà, non? De ce fait là, elle n'en avait qu'un vague souvenir. Et elle n'y portait même pas d'avantage d'attention. Au contraire. Elle était bien loin de se douter qu'il se pourrait que toute cette affaire ait un lien avec lui.
Reprenant son calme, Mari attrapa la petite bouteille d'eau qu'elle gardait à côté d'elle pour en boire quelques gorgées, histoire de s'hydrater un peu.

" Elle ne se droguait pas, j'en suis certaine. Bien sûr, je me doute que certains de mes fans usent de ce genre de substances. Je ne suis pas complètement en dehors de la réalité, et je sais que parfois, c'est le seul moyen pour ces gens de se sortir de leurs problèmes. Mais pas Emily. Dans ses mails, elle était déterminée. Elle avait même repris son travail à l'école et ses notes commençaient doucement à s'améliorer. Elle voulait écrire des histoires et tenter de devenir écrivain. Elle voulait réussir. Elle ne se détruisait pas. Elle n'était ni droguée, ni suicidaire. Et je ne pense pas avoir pu dire quoique ce soit qui aurait pu la blesser...."

Elle se tut quelques secondes, réfléchissant à leurs derniers échanges, se demandant si quelque chose aurait pu blesser la jeune fille. Elle ne se le pardonnerait pas si elle avait fait du mal à Emily sans s'en rendre compte.

" Non.... ça pourra se confirmer par les mails, mais je ne me souviens vraiment pas avoir pu dire quoique ce soit qui aurait pu lui faire de mal. Au contraire, elle était toujours très contente de recevoir mes mails ou mes appels. Je pense que j'étais devenue une amie pour elle. "

La jeune femme esquissa un sourire amusé.

" Elle avait même avoué à ses copines d'école qu'elle correspondait avec moi, elle était assez fière, c'était assez mignon. Je crois que.... je crois que j'avais réussi à l'aider, à la sortir de sa déprime et de son quotidien un peu morose. Au début elle était assez triste, parce qu'elle ne savait plus où aller, ni quoi faire, elle était perdue. Jusqu'à ce qu'elle sache enfin ce qu'elle désirait faire... Et puis aujourd'hui, on devait se rencontrer, et demain, nous devions passer la journée avec elle et son amie pour une journée shopping dans Los Angeles. Elle était ravie..... "

Elle se pinça les lèvres et reprit une gorgée d'eau avant de soupirer doucement.

" Quoiqu'il ait pu se passer, elle n'a rien fait pour se faire du mal. Et j'espère n'y être pour rien. Je.... Je ne veux pas causer la mort à nouveau.... " murmura-t-elle doucement en baissant la tête.

Thrawn se rembrunit, un peu déçu que sa super théorie tombe à l'eau comme ça, par les paroles du seul lien qu'il était possible de faire avec la fille. Ca le faisait rager, à vrai dire. Les autres flics croyaient en une ineptie même pas digne d'être citée, mais lui, lui, qu'avait-il fait de mieux ? Il avait échaffaudé une sombre histoire de drogue après analyse du milieu social et psychologique de la gosse morte. Une déséquilibrée dans une ville paumée, en échec scolaire, vénérant une idole du showbusiness. La drogue, aussi absente fût-elle, était la solution la plus probable que lui fournissait son esprit malade...

C'est vrai quoi, pourquoi pas une simple coïncidence ? Un surmenage, une virus fulgurant, une maladie non révélée. Les pistes ne manquaient pas, et pourtant, il avait choisi la cause la plus glauque et la plus tortueuse qu'on eût pu choisir.
Il écrasa avec un souverain mépris sur l'un des murs de la loge sa défutne cigarette. Il en aurait volontiers sorti une autre, mais la remarque qui conclut la réponse de la jeune chanteuse l'avait fait tilter. Elle avait déjà provoqué la mort d'un individu, elle, cette jeune fille innocente ? Parlait-elle d'un événement malheureux qu'elle se reprochait, comme la mort d'un autre fan antérieure à celle-ci ? Pensait-elle à quelque chose d'assez tortueux pour que John se le mette sous la dent ?

Il s'enfonça dans la brèche présumée.
— Causer la mort avez-vous dit ? Expliquez-moi ça, ordonna-t-il, lapidaire, sentant l'effet du manque d'heures de sommeil sourdre. Si ce que vous dites est vrai, alors on ne retrouvera aucune substance dans le corps d'Emily, aucun indice...

Il avait prononcé ces dernières paroles avec une sorte de tristesse. Il semblait, en effet, triste que cette morte parlait si peu. C'était morbide, oui. Et pour fêter ça, John sortit son étui à cigarettes.

Le regard toujours fixé dans le vide, Mari détourna la tête, sentant ses sentiments s'emmêler dans son esprit et dans son coeur. Les propos de l'inspecteur restaient obscurs, et elle ne comprenait pas vraiment où il voulait en venir... ou bien savait-elle où il comptait en venir et ne voulait pas faire face? La soupçonnait-il d'avoir un quelconque rapport avec cette mort? La soupçonnait-il d'avoir un quelconque rapport avec le coupable? Clignant des yeux par réfléxe, elle se réinstalla correctement sur le canapé et prit une profonde inspiration.

" Ma mère... " commença-t-elle dans un murmure. " Ma mère est morte en me mettant au monde. " finit-il par avouer d'une voix claire. C'était un fait. Et le cacher n'effacerait rien ce qui était arrivé. " Et mon état est une bien maigre punition à côté de cet acte. " Son regard vide se releva et elle fixa de ses prunelles mortes John, par rapport au son de sa voix. Elle ne le voyait pas. Non. Parfois, ça lui arrivait, elle voyait, elle percevait des ombres, des formes, mais ça restait relativement rare... enfin pas pour son père qui voyait en cela un espoir qu'elle puisse voir un jour.... mais elle n'en était pas convaincu. Ce qu'elle voyait était bien trop étrange. Et elle avait souvent songé qu'il s'agissait du fruit de son imagination.

" A présent, si vous ne comptez pas m'arrêter, j'aimerai appeler mon père. "

Elle tendit la main vers la petite table basse devant elle, tatonna quelques secondes avant de se saisir de son bâton d'aveugle qu'elle déplia avec dextérité.