Un violent coup de coude vint heurter avec force les côtes de Shô. Le jeune homme eut un sursaut et poussa une exclamation de surprise, ouvrant brusquement les yeux. Qu’il aurait préféré refermer immédiatement. La totalité des invités, les mariés, le prêtre et même les enfants de cœur avait le regard posé sur lui. Il savait bien déchiffrer ce regard. C’était une espèce de reproche mélangé à de l’indignation. S’endormir au beau milieu d’une cérémonie de mariage, quel culot ! Mais la voix soporifique de l’homme d’église et le fond de musique classique avait eut raison de Shô, qui s’était lassé de compter le nombre de pellicules sur le crâne de son voisin de devant. A vrai dire, il n’en n’avait compté que quatre, étant donné que cet homme était chauve. Seule Mika, l’auteur du coup qui l’avait réveillé, était plongée dans un fou rire silencieux, et semblait au bord de l’étouffement. Shô esquissa un sourire gêné, leva une main hésitante en signe de paix, et bredouilla une phrase qui ressemblait à « allez-y, continuez, ne faites pas attention à moi… ». Le curé, ou le prêtre… Enfin, l’homme d’église toussa pour dissiper l’ambiance tendue qui régnait dans la salle, et reprit son discours avec entrain. Entrain, certes, mais tout est relatif.
Ils étaient venus ici célébrer le mariage de Sojiro Aoyama. Shô pouvait prétendre au poste de meilleur ami, mais après cet épisode court mais intense, Sojiro refuserait probablement de lui adresser la parole pour une bonne trentaine d’années. La cérémonie se termina sans encombres : le marié embrassa la mariée, on leur lança du riz dans les yeux et les vêtements –Shô en avait même vu quelques uns pénétrer leur bouche- et l’assemblée commença progressivement à se vider, se mettant en route pour la salle de réception. Depuis que Mika avait vu la robe de mariée d’un blanc immaculé, et le visage rayonnant de celle qui la portait, elle ne cessait de s’accrocher au bras de Shô telle une sangsue accrochée à sa proie. En réalité, elle ne se tenait pas à lui, mais elle pressait ses seins contre lui. Grande différence, en effet, car c’est une technique de pression largement utilisée chez les femmes. Shô se contenta de se laisser traîner par sa petite amie, le nez en l’air, un sourire idiot placardé sur le visage. Il avait toujours cet air là, lorsqu’il était fatigué.
Cette réception se déroula lentement, très lentement. Shô eut plusieurs fois l’occasion de s’excuser auprès de Sojiro pour avoir perturbé son mariage, mais le jeune marié, complètement saoul, ne semblait pas lui en vouloir le moins du monde. Mika commençait à s’ennuyer, et finit par aller danser avec les autres. Shô, lui, se retrouva consigné sur un banc, à attendre sagement que la fête, battant alors son plein, se calme légèrement pour pouvoir mettre les voiles le plus rapidement possible. A vrai dire, il avait laissé en suspens le travail qu’il avait à terminer pour le lendemain. Shô baissa les yeux vers sa montre, et sentit une vague de désespoir parcourir l’échine de son dos. Non, pour aujourd’hui.
Son téléphone vibra. Le jeune homme secoua la tête pour balayer les mèches lui barrant la vue-celles-ci revenant automatiquement en place quelques secondes plus tard-, et sortit l’objet de sa poche. Un petit bonhomme constitué de trois pixels et demi lui adressait un large sourire, et tenant dans ses mains un panneau où était inscrit « 01 nouveau mail reçu ». Shô ouvrit le clapet vert pomme du téléphone, et observa le message s’afficher progressivement à l’écran.
- Code:
-
« Rinne X32FF0211. Code source 0400369. Ouverture de la base de données - terminée. Remise en place des paramètres de sécurité après intrusion - terminé. Fin du processus. »
D’un bon, Shô s’éjecta de sa place et se dirigea à toute allure vers les toilettes, manquant de percuter quelques enfants de cœur au passage. Il s’engouffra dans les toilettes, prit la première cabine libre, referma la porte derrière lui, et se laissa tomber sur la cuvette. Rinne venait à l’instant même de terminer de s’introduire dans la base de données de la banque centrale du Japon. Il avait lancé la manœuvre avant de se rendre à la cérémonie, et tout s’était passé comme prévu. Mais en mesure de prévention, Shô préférait vérifier de ses propres yeux la bonne mise en place du système. S’infiltrer était une chose, mais ne pas se faire repérer en était une autre. Il saisit la sacoche noire qui lui faisait office de bandoulière, et en sortit un ordinateur portable, qu’il posa délicatement sur ses genoux. Ses yeux parcoururent à une vitesse impressionnante les rangées de chiffres et de lettres qui défilaient devant lui. Tout semblait en ordre. Shô avait réussit à déposer un spyware trojan de sa création dans l’ordinateur central de la banque. Il devait placer sous surveillance un compte dont le contenu se modifiait sans cesse, et sans que la banque elle même ne s’en aperçoive. Vu que Shô avait déjà vérifié l’état du système, et n’y avait découvert aucun élément suspect, il ne restait qu’une possibilité. Quelqu’un faisant partie des employés de la banque avait du de ses propres mains, et du code d’accès, s’être introduit dans la base de données de ce compte, et l’avoir programmé pour augmenter progressivement son contenu, au dépend d’un autre compte, qui lui, devait perdre tout l’argent qu’il contenait minute après minutes.
Personne ne lui avait demandé d’effectuer cette opération, mais ces derniers temps, il n’avait plus tellement eut l’occasion de s’amuser un peu. Les demandes se faisaient de plus en plus rares, et Shô finissait presque par s’ennuyer de ne pas pianoter sur les touches de son clavier, mis à part pour le travail. Avec un sourire satisfait, Shô rangea son ordinateur, et sortit tranquillement des toilettes. A peine eut il posé le pied en dehors de la cabine qu’il se fit faucher par Mika, qui le secoua comme un prunier, en lui demandant où il était passé durant tout ce temps. Le blond éclata de rire en se laissant docilement secouer. Si on avait pris le temps de l’observer à cet instant, on aurait probablement remarqué qu’il avait un manque total de combativité envers cette femme qui le prenait pour un joystick. De toute façon, lutter contre Mika relevait de la pure folie. Elle finit par se lasser de malmener son petit ami, et préféra le prendre avec elle afin de le séquestrer dans sa chambre. Car oui, à son grand malheur, elle n’avait jamais réussit à obtenir son corps, et répugnait à avouer que Shô était toujours puceau après 23 années d’existence. Mika s’effondra ivre morte sur le chemin, et Shô la porta jusqu’à chez elle sur ses frêles épaules, avant de regagner son appartement. Inutile de préciser que lorsqu’il marchait, Shô avait toujours le nez en l’air.
[C'est une petite introduction au personnage de Shô Koizumi. J'espère avoir très vite l'occasion de jouer avec d'autres personnes ! ^^]