Ding, ding, ding, ding, ding, ding. L’horloge en bois massif venait de sonner six heures. Les cliquetis de la machine se firent plus intenses, et alors que la lourde aiguille de fer venait de s’immobiliser, un compartiment auparavant invisible s’ouvrit brusquement, et une petite danseuse qui ressemblait à une fée se mit à tournoyer sur elle-même grâce à un engrenage admirable. Six heures, et déjà le ciel se couvrait, annonçant une autre nuit sans lune et sans étoiles. Une autre nuit parfaite pour la chasse !
Shindara avait eut de nombreux visiteurs aujourd’hui, mais très peu de véritables clients. La plupart des personnes qui osaient s’aventurer dans sa boutique étaient soit des vieux nostalgiques, soit des jeunes gothic lolita qui recherchaient la poupée parfaite à ajouter à leur costume. Shindara aimait beaucoup ces jeunes femmes, et ne leur faisait que très rarement du mal. Elles étaient déjà de parfaites petites poupées de chair et de sang, et bien qu’il soit perfectionniste, il n’éprouvait aucun intérêt à tuer des femmes qui ressemblaient à ses œuvres, mais en plus vivantes…
Six heures. Plus qu’une heure avant la fermeture de la boutique. Il se demandait réellement si quelqu’un viendrait à cette heure-ci. Quelque peu las, il imagina plutôt quel genre de personne il aimerait trouver se soir. Une femme, cela va de soit. Superficielle, un peu idiote. Les bourgeoises étaient les meilleures. Naïves, fières, cherchant à s’affirmer en achetant des habits de marque, et en négligeant totalement la distinction et la classe. Shindara avait un mépris prononcé pour elles, si bien qu’il ne résistait jamais à la tentation de leur tourner autour, de jouer avec elles, puis, une fois blasé, de briser ce jouet sans valeur pour lui donner la beauté et l’importance qu’il n’avait jamais eut.
Shindara soupira. Il jeta un coup d’œil au miroir qui était accroché sur l’un des murs de la boutique et s’attarda un instant sur son physique atypique. Aujourd’hui, il avait opté pour un style plutôt…à la mode, pour les Gothic Aristocrat qui hantaient le quartier d’Harajuku. Chemise blanche à manches à dentelle, veste noire longue et évasée, pantalon noir, chaussures noires et impeccablement vernies, petit ruban noir autour du cou, ainsi qu’un chapeau haut de forme noir. Ses yeux d’un vert doré étaient soulignés de noir, et il portait une rose dans la poche de sa veste. A croire qu’il était lui aussi nostalgique d’une époque qu’il n’avait jamais connu : le XIXème siècle victorien.
Six heures dix minutes. Le temps s’écoulait d’une manière inexorablement longue. Ennuyé, Shindara s’installa derrière le comptoir et se mit en tête de dessiner un nouveau costume pour sa nouvelle poupée de collection. C’était son passe-temps favori à la boutique : la création. Et lorsqu’il se sentait satisfait avec un modèle miniature, il ne pouvait s’empêcher de s’attaquer à des modèles plus grands. Et plus vivants, accessoirement… Et, manque de chance, se soir, il se sentait pleinement satisfait de son travail. Son esprit était empli d’images de costumes resplendissants qu’il avait commencé à dessiner pour ses futures victimes.
*Voyons voir… Plus large…plus de rubans ! Un peu de dentelle… Une fleur, peut-être ? Une rose. Blanche ? Rouge ? Noire ? Ha… Evasées, pour les manches. Longues. Mmmm…Oui, c’est cela…Parfait… Il ne me reste plus qu’à trouver la poupée humaine qui ira avec ce modèle…*
Il avait griffoné un petit croquis d'une robe victorienne en quelques minutes, comme il en avait l'habitude. Il pensait souvent à changer de style, mais il n'arrivait jamais à être pleinement satisfait de ses créations 'modernes'. Pourtant, s'il voulait continuer de narguer la police, il fallait bien qu'il se force à trouver un autre modèle... Quelque chose de plus ancien, peut-être...
Comme s’il priait intérieurement Dieu – ou le Diable – de répondre à ses désirs de créateur, son regard se dirigea vers la porte de sa boutique. Il se surprit un instant à espérer que la femme parfaite entre en ces lieux. Celle qui serait sa future victime. Son nouveau jouet. Sa poupée…La future œuvre d’art publique qui s’ajouterai à sa nombreuse et merveilleuse collection !
*Je finirai bien par te trouver, jolie poupée, au travers de ces sacs de chair infects, fuyant derrière des masques absurdes, dégradant leur beauté au nom même de la Beauté... Ils finiront bien par comprendre, tous ces gens, qu'ils sont aliénés... Certains finiront par admirer mon travail, comme on admire un tableau... Certains seront prêts à acheter mes oeuvres, à contribuer à la banalisation de la Mort. Voilà le monde que je vous offre.
Ô pathétiques humains, serez-vous seulement assez sincères pour affirmer vos pensées les plus secrètes. Les lois humaines, celles de la morale, sont destinées à être balayées par les êtres comme moi. Songez, humains, à la beauté du meurtre, et laissez-moi perpétrer mes oeuvres, laissez-moi illuminer vos âmes abjectes de la splendeur de l'Art... Je changerai ce monde. D'une manière ou d'une autre....*
Son regard toujours fixé sur la porte de la boutique, la coude appuyé sur le comptoir, une main retenant sa tête, ses lèvres remuèrent lentement, et il murmura d'un air mélancolique:
"Viens à moi, tu ne peux fuir le destin, et le tien sera de croiser mes pas..."