[Etats-Unis --> Angleterre, Londres] Départ en mission

Deux jours plus tôt. 22h00. Le téléphone sonne. Gabrielle décroche machinalement son portable, avalant une gorgée de café chaud avant de répondre.

« Céleste Gabrielle ? »

« Elle-même. »

« Vous avez un mail. »

Biiip… Gabrielle n’eut pas réellement le temps de demander des explications. Elle ne parut pourtant pas étonnée et se contenta d’allumer son ordinateur portable, finissant d’un trait son café avant de s’installer plus confortablement dans sa chaise.

« Vous avez 1 nouveau message »

Une petite enveloppe rouge s’afficha sur l’écran de son ordinateur. Gabrielle cliqua sur l’icône avec détachement, puis ouvrit le dossier joint. Il s’agissait d’un ordre de mission.

Citation :

« A l’ordre de l’agent spécial Céleste Gabrielle,

Demain à 9h00 vous recevrez une enveloppe rouge cachetée du sceau du Vatican. A l’intérieur se trouve un billet d’avion pour Londres. Votre destination est Oxford, à 1h10 en navette à partir de l’aéroport. Vous arriverez en Angleterre dans deux jours, à 6h30 du matin. Vos supérieurs sont prévenus et vous êtes officiellement affectée à l’affaire Lincoln dans le cadre de l’Interpol. Les rapports concernant cette affaire ont déjà été écrits et seront régulièrement envoyés à vos supérieurs à votre nom, ainsi vous pourrez vous consacrer pleinement à l’enquête fournie par le Vatican. Un de nos agents vous attendra à l’aéroport et vous expliquera plus en détails ce que l’on attend de vous. Etudiez bien le dossier ci-joint.

Monseigneur B.,
Haut Dirigeant du Vatican. »

Gabrielle ouvrit le fichier : il s’agissait d’un rapport d’enquête sur une dénommée Maya Walker, suspectée de meurtre. Intriguée, Gabrielle se mit à lire le dossier avec attention, comme elle le faisait toujours. Le moindre détail pouvait prendre une importance considérable pour des agents du Vatican. Maya Walker, née en Amérique, étudiante à Oxford, issue d’un milieu aisé, parents séparés, signe particulier : cheveux blancs. Jusque là, rien d’intéressant. Mais après, il y avait ça : Affaire Oxford lancée par monseigneur B. Un exorciste du Vatican a été envoyé à Oxford afin d’enquêter sur l’origine d’une mort par crise cardiaque. Le nom de « Kira » semble être revenu à maintes reprises sur les lèvres des étudiants. L’agent en question suspecte Maya Walker d’être liée de près ou de loin à cette affaire et a requis la présence d’un agent du FBI travaillant pour le Vatican.

*Bon Dieu, suis-je donc la seule à travailler au FBI pour eux ? Bon… tout ça m’a l’air un peu flou pour commencer une enquête, mais si le Vatican pense que cette jeune demoiselle est liée à l’affaire Kira, je suppose que je n’ai pas à hésiter. De toute manière je n’ai pas le choix…*

Gabrielle éteignit son ordinateur et prépara ses affaires en silence. Demain serait sans nul doute une rude journée...

La veille. Aux alentours de minuit. L’avion avait déjà décollé. La plupart des gens autour d’elle dormaient. D’autres écoutaient la radio. D’autres encore jouaient aux cartes. Une hôtesse apporte un verre d’eau… Un homme la regarde… La fenêtre… Tout est noir, tout est calme… Gabrielle secoua la tête, puis sortit de son sac quelques pilules et comprimés. Cette atmosphère la stressait. Cette obscurité…et ces mots silencieux qui résonnaient dans sa tête…ces mots…leurs mots… Elle pouvait presque sentir leur présence, deviner les contours de leurs silhouettes, les traits invisibles de leurs visages… Mais il fallait oublier. Oublier tout ça. Pour Dieu. Pour la mission. Pour retrouver Kira. Elle avait des médicaments pour oublier. Des médicaments pour faire semblant. Faire semblant d’être vivante…

Après avoir avalé trois ou quatre comprimés anti-hallucinatoires, somnifères et autres petites médecines qui lui empêchaient de renouer avec un passé qu’on avait effacé de sa mémoire en la droguant et en la soumettant à un véritable dressage social, Gabrielle se laissa glisser dans son fauteuil et se laissa plonger dans un sommeil sans rêves. Un sommeil noir. Jamais de rêves. Jamais… Plus jamais le sourire hideux d'Ankou qui la terrorisait...

Aujourd’hui. 6h50. L’avion avait atterri. Gabrielle semblait en forme, malgré le voyage. Elle était vêtue d’une chemise blanche, d’un pantalon et d’une veste noire. Ses bagages ne contenaient rien d’autres que des vêtements de rechanges, un ordinateur, un téléphone portable ainsi que des dossiers confidentiels. Elle était désarmée, mais cela ne posait aucun problème. Elle pourrait très bien se procurer une arme en ville. Bref, elle était prête pour sa nouvelle mission, qu’elle quelle soit. Il n’y avait pas encore beaucoup de monde à cette heure-ci, mais Gabrielle n’était jamais très à l’aise parmi la foule. Bien qu’au milieu des gens elle n’était qu’une civile parmi d’autres, elle ressentait la situation autrement : elle était une…une non-morte, parmi tous ces vivants… D’où pouvait bien provenir cette étrange et désagréable sensation… ?

Arrivée devant les portes de l’aéroport, la jeune femme chercha « l’autre agent » des yeux. Elle ne savait pas du tout qui viendrait à sa rencontre, et si elle avait déjà bossé avec lui auparavant. Cela ne faisait pas très longtemps qu’elle travaillait pour le Vatican, et elle n’avait encore jamais coopéré avec un exorciste…

*Je me demande à quoi ils ressemblent…des prêtres en bure noire, avec des crucifix en argent trempés dans de l’eau bénite ? Sérieusement…pourquoi un exorciste aurait-il besoin de travailler avec un informateur ? Je me demande vraiment ce que je fais là… Espérons que je ne perde pas mon temps sur une fausse piste…*

Jetant un œil sur la grande horloge à l’intérieur de l’aéroport, Gabrielle se rendit compte qu’il était déjà sept heures. Machinalement, sa main chercha son tube de comprimés, et elle en avala un, par habitude. C’était comme ça depuis 4 ans. Les psychiatres avaient été formels. Elle ne pourrait garder son travail et sa liberté qu’à condition d’être soumise à ce traitement. Dans le cas contraire…elle ignorait ce qu’il se produirait. Ou peut-être avait-elle oublié. Elle savait juste que c’était très important, et elle ne se posait jamais la question de savoir pourquoi. C’était comme ça. C’est tout…

*J’espère ne pas attendre trop longtemps. Oxford m’est totalement inconnue… Bon. Qu’importe. Attendons juste de voir. Oui…tout ce qui importe c’est cette enquête. Kira…si seulement je pouvais te faire face, qui que tu sois, quoi que tu sois…si je pouvais t’anéantir…Dieu me pardonnerait mes péchés…je pourrai alors mourir...oublier que j'ai été vivante...*

Sinead avait été prévenue par un message que l'agent qu'elle avait demandé était en route vers Londres et arriverait dans la matinée. Après un rapide passage à l'université qui lui apprit seulement que rien n'avait changé, elle arriva à l'aéroport et perdit du temps à chercher une place pour garer sa voiture qu'elle conduisait, malgré le temps, toujours très mal. Après avoir fusillé du regard un piéton qui la regardait recommencer son créneau pour la cinquième fois, elle claqua la portière et se dirigea vers l'aéroport, un sourire malsain au lèvres. Elle avait presque envie de chantonner, tiens. Pourtant, si ça se trouve, elle faisait une immense connerie. Qu'est-ce qui lui assurait que Gabrielle n'était pas encore plus dangereuse qu'avant ? Absolument rien. Mais ce genre de raisonnement, s'il est bon pour les gens raisonnables, ne faisait aucun effet à l'Irlandaise. Sinead vérifia qu'elle avait bien sur elle la très petite croix en or sur laquelle figurait un code chiffré, preuve qu'elle était bien au service du Vatican contre Kira. Elle tritura nerveusement la chaine de ladite croix. Pour entrer dans l'aéroport, il fallait être sans armes, et Sinead n'aimait pas particulièrement se promener sans... De toute manière, la française n'en aurait pas plus sur elle, et Sinead ne l'avait pas demandée pour l'égorger au milieu d'un aéroport.

L'Irlandaise arriva à l'aéroport avec quelques minutes de retard, comme elle l'avait prévu, et se dirigea machinalement vers un endroit discret une fois entrée. Elle avait troquée sa robe habituelle contre des vêtements plus classiques et un long manteau de cuir noir qui lui aurait couté une fortune si elle ne s'était pas servie sans payer. Elle serra la croix au fond de sa poche et parcourut le hall du regard. Elle remarqua assez vite la jeune femme en tailleur, à la peau presque livide, au regard presque vide, au tailleur presque impeccable et qui prit un cachet sous ses yeux. Elle avait changée, certes, mais Sinead savait que le visage de Gabrielle pouvait prendre un tout autre air selon les circonstances. Le sien se renferma et elle commença à traverser le hall d'un pas assuré, s'arrangeant pour arriver dans le dos de celle qui avait été sa compagne d'asile. Le tube de comprimés s'évada de la poche de Gabrielle et atterit dans la main de la jeune Irlandaise, qui s'arrêta juste derrière sa "victime".

"Fluanxol... Un neuroleptique... Ca faisait longtemps que je n'avais pas vu une jolie boite comme celle là. Je suppose que ce gentil petit assomant ne se prend pas tout seul, et qu'il faut l'accompagner de ses copains les cachetons ?"

Sinead jongla quelques secondes avec la boite, puis sortit rapidement sa croix de sa poche et la tendit, avec les médicaments, à Gabrielle.

"Ils ne t'ont jamais dit qu'il ne fallait pas manger des cachets bizarres ? Tu as préféré écouter les médecins... Et sortir avant moi..."

Le regard de l'Irlandaise était redevenu comme il était des années auparavant. Mauvais, fou et glacial, comme son sourire.

"Quelle chance qu'ils t'aient appellée, toi parmi les autres... Nous avons tellement de bons souvenirs à nous raconter..."

Sinead jubilait. Elle se revoyait des années en arrière, face à une fillette qui était seule sous un arbre... Elles avaient grandi, certes... Mais l'émotion des retrouvailles reste toujours la même. La jeune femme rejeta sa tête en arrière, un sourire radieux sur les lèvres, une lueur au fond du regard.

"Nous... Devrions sortir, non ?"

Alors qu'elle semblait perdue dans ses pensées, l'air maussade et presque détachée de la réalité, mais pourtant en forme, même si on aurait juré le contraire en la voyant, elle sentit son tube de comprimés glisser de sa main. Alors qu'elle venait à peine de réaliser que celui-ci avait disparu, regardant nonchalemment et un peu bêtement sa main, une voix s'éleva de derrière elle. Une voix étrange. Presque familière...non...elle se trompait. Elle se trompait, c'était certain...

Un peu mollement, la jeune femme se retourna et dévisagea celle qui tenait entre ses mains son tube de comprimés. Elle débita quelque chose à propos de celui-ci, mais Gabrielle semblait un peu ailleurs, et ne l'écouta pas vraiment. Son regard vide analysa rapidement l'inconnue: longs cheveux noirs, yeux vertsqui reflétaient une certaine satisfaction, ou peut-être était-ce une once de...folie ? La folie...ce regard qui s'y apparentait...elle l'aurait reconnu entre milles ! Non...non c'était faux...tout était faux...c'était un regard comme un autre...juste un regard...

Elle portait également un chapelet, ce qui ramena Gabrielle à sa mission. Elle était sans doute l'agent du Vatican dont il était question dans son ordre de mission. C'était pour cela qu'elle était ici, non ? Après avoir jonglé avec la boîte, l'étrange inconnue, ou plutôt sa nouvelle collègue, la lui rendit avec une petite croix, preuve de son appartenance à l'Ordre. Gabrielle les prit et les glissa dans sa poche sans dire mot. Alors elle parla. Elle prononça ces mots. Ces mots !! Médicaments...sortir...sortir avant elle...Non...non, ca n'avait aucun sens...Ils ! ILS ! Pourquoi parlaient-elles d'eux ? De quel droit ?!! Eux...eux...qui étaient-ils, déjà ? Qui...?

*Mais qu'est-ce qui m'arrive...ai-je déjà rencontré cette fille ? Je n'arrive pas à me souvenir...*

Prise d'un certain malaise, la jeune femme se contenta de rester muette. Elle sentit une certaine douleur dans son crâne tandis que sa vue se brouillait légèrement. Un son désagréable l'assourdissait légèrement. Comme...comme un cri prolongé à l'infini. Ou peut-être était-ce un murmure ? Non. C'était stupide. C'était juste la fatigue. Elle avait fait un long voyage. Oui, c'était cela. Et rien d'autre...rien...d'autre...

Les mots, le regard, le sourire que Sinead lui accordait la déstabilisa un instant. Pourtant elle restait de marbre, son regard plus mort que vif, ses lèvres ne formant aucun mot, son corps semblant cloué au sol. Sans trahir la moindre émotion, exceptée peut-être une certaine froideur, la jeune femme finit par se forcer à parler.

"Je suis navrée, vous devez vous tromper de personne. Je ne me rappelle pas vous avoir déjà vue..."

A peine avait-elle prononcé ces mots qu'elle se tut presque aussitôt. Pendant un instant, elle sembla ailleurs. Ses yeux reflétèrent une certaine peur, puis quelques secondes après elle poursuivit sa phrase comme si de rien était:

"...Je suppose que vous êtes mon contact. Bien. Nous devrions en effet partir. La direction est Oxford, n'est-ce pas ? Durant l'heure qui nous sépare de la ville, vous n'aurez qu'à m'informer de la mission, je vous prie."

Elle dirigea son regard vers la sortie de l'aéroport, comme pour inciter sa nouvelle collègue à la guider à l'extérieur. Quoi que Sinead puisse en penser, Gabrielle ne mentait pas. Ou du moins, si elle mentait, elle se mentait à elle-même avant tout. Car dans sa tête, au creux de son oreille, résonnant dans son esprit tel un écho, une voix mielleuse lui murmurait: "Tu ne VEUX pas te rappeler...!". Une voix qu'elle tâchait d'ignorer. Une voix qu'elle étouffait grâce aux cachets. Elle ne se rendait sans doute pas compte. Ce qu'elle voulait c'était juste accomplir la mission qu'elle s'était donnée. Mais d'une manière ou d'une autre, la folie ne pouvait être guérie...

*Je ne me sens pas à l'aise ici...est-ce ce pays ? Ou bien...autre chose ? ...elle, peut-être ? Non...je ne la connais pas...je ne l'ai...jamais vu...jamais...*

"Tsk."

Se tromper ? Sinead aurait pu le croire, mais là... Cette façon de réagir, cette réponse de sang froid, ces hésitations... Et surtout toujours la même voix et le même visage, vraiment. Il s'agissait bien de la même Gabrielle. Sinead eut un regard dédaigneux vers la boite de médicaments. Evidemment, elle était totalement abrutie. Avec une bonne dose de lacheté et de produits chimiques, on pouvait changer son propre passé... Du moins en masquer les parties les moins reluisantes. Sinead se faisait une joie à l'idée d'arracher ce masque... Mais peut-être pas ici. S'il fallait qu'elle se mette à voire des enfants noyés aux yeux crevés en plein milieu de l'aéroport...

"Vous avez raison, nous ferions mieux d'y aller. Suivez-moi, ma voiture n'est pas garée loin, vous pourrez y mettre vos bagages... A moins qu'il n'y ait un cadavre, mais je pense les avoir tous enlevés."

Elle afficha un sourire de façade, et guida Gabrielle à travers deux rues pleines de mondes jusqu'à une vieille voiture pas très bien garée. L'Irlandaise déverrouilla les portes de l'antiquité et invita Gabrielle à monter à la place du passager. Une fois que les deux jeunes femmes furent installées, elle lança un sourire clairement faux et démarra l'engin, l'engageant sur la route sans trop de rayures pour les autres automobiles garées autour. Elle jeta un regard suspicieux à sa voisine et se remit à la tutoyer d'une voix mielleuse.

"Excuse-moi, depuis que je suis sortie de l'asile je n'ai pas eu le temps de m'habituer à ces engins... Tu as surement eu le temps, toi. Mais je comprends, aussi, avec ces médicaments... J'ai eu quand à moi la chance de pouvoir sortir sans avoir à en prendre, et de toute manière, ils me l'auraient demandé, je ne l'aurai pas fait..."

L'Irlandaise parlait d'un ton enjoué, comme quelqu'un qui raconte une anecdote amusante de sa vie à sa meilleure amie. Elle jetait de temps à autres des regards à Gabrielle et gardait ses deux mains rivées sur le volant, le levier de vitesse changeant seul de position avec des craquements sonores.

"Mais j'oubliais... Je me trompe surement de personne. Tu as la même voix, le même regard, le visage plus âgé évidemment... Le même nom... Quelle coincidence ! Si ça se trouve toi aussi tu vois les morts autour de nous !"

Un instant l'expression fausse de Sinead redevint un miroir de ses pensées ; pendant une seconde peut-être son regard redevint hautain et son sourire particulièrement moqueur... Avant de redevenir un visage tellement rayonnant qu'il en était écoeurant de fausseté. Avant que Gabrielle ne puisse répondre à son intervention passéiste, l'Irlandaise reprit la parole.

"Mais je parle, je parle... J'en oublie la mission... Il y a peu, à l'université d'Oxford, une étudiante mourrut d'une crise cardiaque. Rien de bien étonnant à mon avis, mais bon... Les étudiants commencèrent à parler de Kira, disant que c'était là son intervention. Proprement ridicule encore, preuve que le flegme britannique n'est plus ce qu'il était... Ah, et ils se sont mis à suspecter une de leurs camarades, du nom de Maya Walker, une américaine venue étudier ici si j'ai bien compris. J'ai décidé de planquer un peu devant l'appartement de la demoiselle, et là, surprise, trois costumés de la police arrivent à son domicile... Un vrai cliché, une femme, deux hommes, tous habillés comme des agents du FBI en inspection... Ce qui m'a poussé à conclure qu'un organisme plus grand que la simple police s'occupait de l'affaire, et que les services de renseignements Anglais doivent aussi pencher pour l'hypothèse Kira."

Sinead tourna la tête vers son interlocutrice pendant que le boitier de vitesse craquait encore seul. Elle soupira, comme si ce qu'elle venait de dire la désintéressait au plus haut point.

"Mais voilà, je ne peux pas jouer dans la même cour que des agents Anglais, et je me suis dit qu'il me fallait du soutien. Surtout que l'hypothèse Kira serait confirmée par la mort suspecte de 14 anciens membres de l'IRA. Les journaux ont commencé à en parler."

La boite à gant s'ouvrit et le Maüser de l'Irlandaise se mit à tournoyer lentement au dessus de Gabrielle, de concert avec une bonne poignée de balles.

"J'ai aussi un uniforme d'agent de police anglais sur la banquette arrière, mais il faudra cacher le pistolet. Déjà que cet engin ne se voit pas tous les jours..."

La boite de cachet de Gabrielle s'échappa à nouveau et revint dans la main de la jeune Irlandaise. Son sourire était redevenu un rictus malfaisant, et son regard toisait de façon hautaine la Française.

"Ca me rapelle cette poupée que tu avais... J'avais pensé lui arracher d'abord la tête mais tu t'étais levée et m'avais menacée comme si... Un autre t'avait remplacé à ce moment-là... Un autre beaucoup plus aggressif... Un toi capable de s'assumer et qui n'aurait pas cherché refuge dans des produits chimiques..."

L'Irlandaise fit sauter le bouchon de la boite et les cachets se mirent à sortir les uns après les autres pour tourner autour d'elle à des vitesses différentes et selon des axes variés. Sinead ralentit et les observa un moment tandis que son sourire s'élargissait.

"Tu sais, j'ai eu accès à ton dossier après... Un léger accident... Tu l'as tuée de 13 coups de couteau. Treize. Un chiffre adapté, non ? Nettement plus rapide que 666, et d'une certaine symbolique aussi..."

La voiture s'arrêta sur le côté. Sinead toisait pleinement Gabrielle maintenant, et tout son visage n'exprimait plus qu'une folie malsaine. Autour d'elle et de Gabrielle, les objets en suspension prenaient de la vitesse, frôlant parfois la jeune agent de très près.

Elle s'était trompée. C'était évident. Pourquoi diable aurait-elle pu penser le contraire ? C'était une erreur. Une simple erreur. Tout allait rentrer dans l'ordre maintenant. La mission. Cela seul importait. Voyant que sa collègue daigna enfin la conduire à Oxford, Gabrielle se contenta de le suivre avec son habituel regard morne et froid. Elle sourit néanmoins à la petite plaisanterie de Sinead, sourire bien vite effacé alors qu'elle se demandait s'il s'agissait vraiment d'une plaisanterie. Après tout, elle était exorciste...peut-être qu'il y avait vraiment un cadavre dans son coffre !

*Dans 95% des cas sur lesquels j'ai travaillé, un véritable psychopathe aurait dit la même chose s'il avait effectivement tué quelqu'un... Pas très rassurant. Pfff...de toute manière, le Vatican n'emploierait jamais des individus incapables de faire la différence entre le Bien et le Mal...pas vrai...?*

A peine fut-elle exposée à l'air frais que Gabrielle regretta amèrement les Etats-Unis. Ce vent froid...ce temps brumeux...cette légère bruine...Brrr, cette atmosphère ne lui plaisait guère ! Sans doute lui rappelait-elle un souvenir désagréable du passé...oui...mais lequel ? Lorsque Sinead l'emmena jusqu'à sa...hum..."voiture" ? ... Gabrielle afficha un air sceptique, haussant légèrement les sourcils. Le Vatican ne payait-il pas ses exorcistes ? Rouler dans un truc pareil...avec une collègue pareille...

*Bonjour la discrétion...mais qu'est-ce que j'fais là ?*

Affichant toujours un air détaché et stoïque, la jeune femme s'installa dans l'espèce de ruine qui leur servait de moyen de transport et s'empressa d'attacher sa ceinture de sécurité. A peine étaient-elles parties qu'elle s'inquiétait seulement maintenant de savoir si sa collègue possédait réellement un permis de conduire. La mission n'était même pas encore commencée qu'elle avait déjà l'impression de mettre sa vie en danger.

*Je sens que je vais détester Oxford...*

Alors elle poursuivit sa conversation. Cette discution aberrante. Cette discution qui ne menait à rien ! Devait-elle le répéter ? Elle se trompait. Elle se trompait ! Elle n'avait jamais été à l'asile, elle. Jamais ! Elle...elle...elle n'y avait pas été, c'est tout ! Mais...et les médicaments ? Ne les prenait-elle pas pour...?

*Ca suffit, c'est complètement stupide. Me voilà dans une voiture qui menace de s'écrouler au moindre choc, et avec pour nouvelle collègue une fille sortie tout droit de chez les cinglés. Dès que j'arrive à Oxford je téléphone au Vatican. Il est hors de question que je mène une enquête aussi sérieuse avec une folle pareille !*

Gabrielle s'efforça de concentrer son attention ailleurs. Elle dirigea son regard par la fenêtre du véhicule et tenta d'appaiser son esprit en regardant défiler inlassablement les bâtiments et autres voitures. Le levier de vitesse émit un grincement sinistre, mais Gabrielle tenta de l'ignorer, regardant toujours à l'extérieur, cherchant à fuir la présence froide de cette cinglée. Mais elle continuait. Elle continuait avec ça. Visage, nom, regard...ce n'était qu'une coïncidence ! Elle n'était pas celle qu'elle pensait. Elle n'était pas elle...! Gabrielle sentit une profonde colère déferler en elle, mais elle s'efforca de la contenir et continua de regarder le "paysage" sans souffler mot.

Elle se sentit rassurée lorsque Sinead changea enfin de sujet. La mission. L'affaire Maya Walker. Une étudiante à Oxford suspectée d'être liée à l'affaire Kira. Sinead ayant enfin attisé la curiosité de Gabrielle, celle-ci daigna lui accorder un regard intrigué. Mais elle ne prononça pas un mot, réfléchissant aux informations que Sinead venait de lui donner. Ainsi, cette étudiante intéressait les forces de police ? Le FBI ? Non...elle aurait été au courant, sinon... Les services secrets britanniques, sans doute. Donc quelque chose clochait bien avec cette Maya Walker.

*Si cette fille est bien liée à l'affaire Kira elle ne doit pas nous échapper. Si elle est suspectée d'autre chose il faudra que je me tienne à l'écart, afin de garder ma couverture. Ce qui me sert de collègue n'aura qu'à s'arranger pour la remettre aux forces de police locales. Mais pour le moment, elle est notre seule piste sur l'affaire Kira. Si elle est effectivement liée à cette insanité alors c'est au Vatican seul de décider de son sort...*

Le boîtier de vitesse craqua à nouveau. Cependant, comme Gabrielle n'avait pas vu Sinead faire le moindre mouvement, et comme son regard restait posé sur celle-ci, elle ne s'apperçut pas immédiatement de ce que Sinead était en train de faire. Elle se contenta de l'écouter jusqu'à ce qu'une arme à feu se mit à...à flotter...autour d'elle... Gabrielle se redressa dans son siège, détournant vivement le regard, les yeux rivés sur l'autoroute.

*Ce n'est pas réel. Ce n'est pas réel. Ce n'est pas réel !!!*

Elle tâcha de paraître le plus détendu possible, faisant comme si de rien était, ignorant l'arme à feu qui flottait dans les airs, bientôt rejoint par quelques balles. La jeune femme faisait tout pour rester stoïque, mais son regard trahit bientôt sa détresse.

*Ce n'est qu'une hallucination. Juste une hallucination. Il me faut un cachet...un cachet...juste un, et ca ira mieux...et...on pourra se concentrer sur la mission...un cachet...*

Gabrielle s'apprêta à ouvrir de nouveau la boîte de médicaments, persuadée que ces drogues en comprimés lui permettraient de ne plus voir ce qu'elle ne devrait pas voir, mais alors qu'elle voulut dévisser le couvercle, la boîte lui échappa des mains. Sinead la récupéra et lui adressa le plus ignoble des sourires. La jeune femme garda son habituel silence. Jusqu'à ce qu'elle prononce les mots qui sonnèrent sa déchéance. Ces mots...

Gabrielle eut l'impression d'être projetée en elle-même, son corps tombant dans un vaste gouffre, ses mains cherchant vainement une prise dans l'obscurité. Elle les voyait clairement. Les jardins. Ces si beaux et tranquilles jardins de l'asile Saint Ange... Elle était assise près des rosiers, là où il y avait de l'ombre, là où il n'y avait...là où il n'y avait que les morts...les morts qui la toisaient silencieusement...et puis...sa poupée. Sa poupée sans yeux. Sa poupée qui représentait pour elle un être vivant, un être vivant aveugle, un être vivant qu'elle haïssait, mais qu'elle chérissait comme étant son seul jouet.

Alors c'est là qu'elle vint, déchirant l'harmonie de son jardin secret. Elle lui avait arraché sa poupée des mains et l'avait menacé avec...cet étrange pouvoir...elle était terrifiée. Mais il lui était venu en aide. Tout comme dans son enfance. Il venait l'aider, elle qui n'était qu'une non-morte...il était juste là...pour l'aider... Les images s'effacèrent soudainement, et Gabrielle eut à nouveau une sensation de malaise. Une violente douleur s'installa dans son crâne, accompagnée par une soudaine nausée.

*J'ai besoin d'un cachet...j'ai besoin de ces putains de cachets !!*

Ca recommençait. Encore et encore. Ces cris dans sa tête...ces cris assourdissants. Toutes ces voix...elle ne voulait plus les entendre ! Surtout pas elles, et encore moins celle de son "ange". Gabrielle adressa un regard haineux à Sinead. Une envie intense de l'étouffer et de prendre ces fichus cachets ensuite s'ancra profondemment dans son esprit. Elle resta néanmoins de glace, comme à son habitude, son regard seul trahissant du changement qui s'effectuait en elle. Les cachets se mirent alors à tournoyer, eux aussi. Mais Gabrielle savait qu'il ne s'agissait pas d'une illusion. Tout était bien réel. Bien trop à son goût... Mais il fallait oublier...

*Lâche...*

*J'ai besoin de ces cachets...*

*Tu n'es qu'une lâche, tu es morte de trouille à l'idée de les voir, espèce de traîtresse, petite garce, comment as-tu pu à ce point souiller le monde auquel tu appartiens ? Tu fuis ! Tu fuis la réalité ! Lâche...lâche...LACHE !!*

*Tais-toi...*

*Tu fuis !*

*TAIS-TOI !! JE NE VEUX PLUS T'ENTENDRE !!*

*Ce n'est pas ainsi que les choses marchent, Gabrielle. Je suis toi...tu es moi...nous ne faisons qu'un...mais tu as voulu changer les règles...tu a voulu me tuer, moi qui étais toi...tu vas regretter ce que tu m'as fais...on va jouer avec mes propres règles maintenant...*

La voix de Sinead rompit sa conversation mentale avec elle-même. Treize...la...la fille qui l'avait enfermée...le meurtre...ah...cette sensation...si douce...les voix hurlaient...mais elle s'est abandonnée à lui...elle l'a tuée...et les voix se sont tues. Elle ne s'était jamais sentie aussi bien.

"Ca suffit !" S'écria Gabrielle, aussi bien à l'attention d'Ankou qu'à celle de Sinead.

Elle ne se rendit compte que maintenant que le véhicule était arrêté. Les objets tournaient autour d'elle à une vitesse fulgurante, la menaçant de temps à autre. Quelque chose la troubla. Une haine intense. Un désir grondant de mettre un terme à cette comédie infernale. Pendant une fraction de seconde, elle crut voir des mains s'enrouler autour de la gorge de Sinead. Elle regarda celle-ci avec un regard mi-horrifié mi-haineux.

*J'ai un travail...une vie...pourquoi faut-il qu'elle vienne tout gâcher maintenant ?!*

*Tu n'as qu'à la tuer...*

*LA FERME !!*

"Ca suffit, j'en ai assez vu et entendu. Soit vous arrêtez votre petit jeu maintenant soit j'appelle le Vatican et je demande à enquêter seule sur cette affaire. De toute manière, comme vous l'avez dit, vous n'avez aucun grade officiel vous permettant d'enquêter légalement sur notre suspect n°1. Dans le cas où vous continueriez de me harceler de la sorte je n'aurez qu'à vous faire enfermer pour possession d'arme illégale et vol d'uniforme. Je vous conseille donc de réfléchir avant de continuer à me taper sur les nerfs, parce que je ne suis pas le genre de personne à éprouver le moindre sentiment de pitié vis à vis d'une personne de votre genre."

Elle avait dit cele d'un trait, d'un ton froid et tranchant. C'était une chose qu'elle faisait souvent, et qui surprenait beaucoup ceux qui ne la connaissaient pas. Elle était capable de rester silencieuse pendant des heures, puis soudainement exploser de rage en débitant un flot de paroles le plus souvent méprisantes ou froides. Le visage de Gabrielle s'était assombri, et son regard était à présent empli d'un mépris prononcé.

"Et rendez-moi mes cachets, s'il vous plait. J'en ai besoin. Immédiatement." Ordonna-t-elle sèchement.

*Idiote...*

*Je te prie de la fermer, Ankou. Bientôt tu rejoindras les méandres de mes souvenirs oubliés. Puisses-tu t'y étouffer !*

*Tu me paieras ça, Gabrielle... Crois-moi, tu regretteras amèrement d'avoir voulu tenir à l'écart ce que tu es. Ta vraie nature. Tu finiras par être contrainte de leur montrer à quel point tu es souillée. Tu n'es qu'un fruit pourri, beau et pur d'apparence mais rongé de l'intérieur !*

*Je ne serai plus ton esclave Ankou. Plus jamais. Tu finiras bien par disparaître, un jour ou l'autre...*

*Pas tant que tu seras vivante...inconsciemment tu continues de me parler, de me chercher des yeux...tu ne peux pas vivre sans moi !*

Gabrielle secoua la tête et ajouta:

"Si vous pouviez éviter de vous faire remarquer avec vos tours de passe-passe, je vous en serai très reconnaissante. Vous êtes d'une discrétion...affligeante... Tant que vous menacerez ma couverture je serai forcée de vous voir comme un danger, ce qui me donne le droit de me débarasser de vous à la moindre menace. Je vous prierai donc de ne pas rendre les choses plus difficiles qu'elles ne le sont et de vous concentrer sur notre sainte mission !"

Elle attendit la décision de Sinead, la foudroyant du regard, prête à ouvrir la portière et s'éloigner d'ici, ce qu'elle mourrait d'envie de faire. Elle la Haïssait, sans qu'elle ne puisse en expliquer réellement la raison. Elle avait vraiment envie...de lui ôter ce sourire qu'elle avait aux lèvres...

Oh-oh. Ca devenait intéressant. Si Gabrielle était restée en apparence la même, son regard et son ton de voix avaient totalement changé. Quand à ce qu'elle disait... Sinead soutint le regard haineux de son interlocutrice avec un plaisir non dissimulé.

"Très bien... Je ne voudrais pas que le Vatican me suspende de mes fonctions, ho non... Je serais obligé de leur raconter cette même histoire, avec cette gamine et ces treize coups de couteau... Ou bien d'autres... Des histoires fausses, certainement, mais qui avec une enquête du Vatican risqueraient de se montrer vraies..."

Les objets qui flottaient revinrent plus ou moins à leur place, à l'exception de la boite de cachet que Sinead garda en mains. Elle la tint devant elle en prenant un air pensif.

"Tu risques d'être démasquée en travaillant avec moi, et alors ? Qui peut me dire ce que je risque à travailler avec une droguée ? Qui peut me dire quand apparaitront des effets secondaires ? Quand il y aura un problème ?"

La voiture redémarra et Sinead reprit la route d'Oxford en même temps que la "conversation".

"Nous y serons bientôt, pour commencer notre *sainte mission*. Une croisade ! Voilà qui manquait à l'Angleterre moderne. Une croisade menée par Gabrielle Céleste, française, qui ne me connait pas alors que nous avons été dans le même établissement psychiatrique pendant... Longtemps... Pour diverses raisons. Gabrielle me déteste, elle partage avec moi l'expérience du meurtre, mais elle, elle préfère l'oublier."

L'Irlandaise tourna la tête vers Gabrielle.

"Maiiiiiiiiis passons. Tout va bien, j'arrête, tu as raison. Je dois d'ailleurs vraiment me tromper puisque pendant quelques instants, dans tes yeux, j'y ai lu plus que ce qu'on peut lire dans les yeux des autres gens... Si tu vois... Hmmm."

La voiture s'engagea tant bien que mal dans un parking et Sinead coupa le moteur.

"Nous y sommes. Quel gâchis. Vous auriez pu interroger la morte."

La jeune femme sortit de la voiture, en claqua la vieille portière grinçante et attendit de l'autre côté que sa "collègue" sorte. Elle avait toujours dans sa main le tube de médicaments et le contemplait d'un air songeur.

Des menaces ? Oui, cela sonnait ainsi. Mais Gabrielle savait que cette fille ne pourrait rien contre elle. Elle ne gâcherait pas son travail. Elle ne gâcherait pas sa nouvelle vie. Pourquoi ? Parce qu'elle n'était rien de plus qu'une cinglée, et qu'elle, elle était au FBI. Si elle voulait jouer à ce petit jeu-là, Gabrielle était capable de la faire disparaître, d'une manière ou d'une autre.

*Cette fille ne peut pas travailler pour le Vatican, c'est impossible... Ce qu'elle fait, c'est de la torture morale. Elle devrait se repentir devant Dieu pour tenter ainsi de faire souffrir son prochain. Si elle ne le fait pas...je le ferai pour elle...après tout je l'ai déjà fait auparavant...j'ai déjà...*

Gabrielle affichait toujours son air froid et menaçant. Elle détestait qu'on vienne perturber sa tranquilité. Et plus que quiconque cette fille l'ennuyait. Venant d'une autre personne, elle serait restée stoïque. Mais elle...elle allait trop loin...

"Entre nous, je suis la seule qui prend véritablement des risques ici. Si vous vous inquiétez tant que cela pour mon état mental dites-moi alors la raison pour laquelle vous refusez de me donner mes cachets ? Si vous étiez si soucieuse de votre sécurité je suppose que vous me les auriez rendu en vous excusant polimment. Et si vous saviez réellement ce qu'est la compassion vous cesseriez de débiter vos conneries et d'exposer ainsi des informations personnelles qui m'agacent au plus haut point. Je suis ici pour Maya Walker, pas pour vous, alors rendez-moi ce qui m'appartient et tâchez de ne plus parler pour ne rien dire."

Sinead redémarra la voiture tandis qu'elle continuait avec ces absurdités. Une croisade ? Oui, c'était sans doute quelque chose comme cela. Quant à l'asile...mieux valait ne plus y penser. Surtout en sachant qu'il y avait une arme à portée de main, et que chaque minute qui s'écoulait était une pensée morbide de plus dans son esprit. Comme l'envie de vider le chargeur de l'arme dans le crâne de cette petite peste, par exemple...

*Bon...je dois avoir les ordonnances du psychiatre quelque part...je trouverai bien un prétexte pour aller à la pharmacie, et un autre pour me procurer une arme. Je ne lui fais absolument pas confiance, et je m'attend à tout avec cette folle...*

Gabrielle poussa un soupir de lassitude. Qu'y avait-il dans ses yeux, du mépris ? Certes. Mais ce n'était certainement pas pour la même raison que tous ces idiots de vivants... Oh que non... Elle était différente d'eux... Elle...elle ne peut pas accepter d'être comparée à eux !

"Et qu'avez-vous dans mon regard, du mépris ? Je ne le nierai pas. Mais contrairement aux vi...aux gens, mon mépris ne vient certainement pas de la peur qu'ils doivent éprouver en votre compagnie. Mais cela n'a guère d'importance, contentez-vous de m'amener à Oxford, je n'ai guère envie d'y aller à pieds par ce temps..."

La voiture s'arrêta dans un parking. Alors ca y est, ils y étaient ? Enfin ! Les choses sérieuses allaient pouvoir commencer ! Gabrielle se sentait enthousiaste, malgré la nausée qu'elle éprouvait vaguement sans ses cachets. Mais cela n'était rien. Seule sa volonté comptait. Tant que sa volonté restera indemne face à celle de son double, tout se passerait bien. Enfin...normalement...

Gabrielle sortit de la voiture et observa un instant les alentours. Elle se mit à réfléchir, puis exposa clairement ses pensées, l'air absorbée par ses réflexions:

"Bon. Il serait utile de voir où cette Maya Walker habite. Je pense que nous devrions la mettre sur écoute et l'espionner. Il faudrait que je commande le matériel adéquat et que nous l'installions chez elle, ce pourquoi j'ai besoin d'un programme précis de sa semaine. En attendant que j'obtienne le matériel il faudra que nous la suivions, nous pourrions peut être découvrir quelque chose d'utile. Nous n'aurons qu'à nous relayer pour les heures de sommeil, afin de ne pas rater un seul de ses déplacements. Il serait stupide d'aller la voir directement: si elle est effectivement coupable de quelque chose elle se méfiera et restera sur la défensive.

Nous devons rester discrets et nous cacher dans l'ombre le temps de trouver ce que nous sommes censés chercher: c'est-à-dire un indice, ou au mieux, une preuve. Fréquente-t-elle l'université ? Si c'est le cas, nous pourrions nous y infiltrer et surveiller ses fréquentations et activités. Les étudiants ont souvent beaucoup de choses à raconter...surtout lorsqu'on sait bien s'y prendre avec eux...! Je veux également savoir si elle a un travail, où, comment elle s'y rend, qui elle y voit. Bref, je veux tout savoir sur elle, et vous allez m'aider à dresser son profil. L'uniforme et l'arme que vous avez volés, gardez-les, ils pourraient nous être utiles si nous sommes forcées de prouver notre appartenance aux forces de l'ordre. Je vous procurerai des faux papiers, au cas où."

Elle se tourna vers Sinead, un sourire forcé et insolent sur les lèvres:

"Je peux compter sur votre discrétion, n'est-ce pas ?"

N'attendant pas même une réponse, elle tendit la main vers elle et plongea son regard froid dans le sien.

"Pendant que j'y pense, allez-vous oui ou non me rendre cette boîte, s'il vous plait ?"

*Elle t'énerve, hein ?*

*Tu es encore là, toi ?*

*Mais j'ai toujours été là...*

*Je n'ai qu'à t'ignorer alors. Tu ne m'es d'aucune utilité de toute manière. Fi !*

Le regard de Gabrielle se fit plus insistant, voire presque menaçant. Elle détestait qu'on joue avec ses nerfs, et elle haïssait perdre du temps. Ce qui importait, c'était Maya Walker. Pas cette fille. Surtout pas cette fille ! Elle pourrait...lui rappeler ce qu'on lui a forcé à oublier pendant des années. Se serait une catastrophe. Elle devait mener cette mission à bien rapidement, éviter les questions de cette fille et ne plus jamais la revoir. Si elle allait trop loin elle pourrait toujours s'arranger pour...

*Moi, je peux t'en débarasser...se sera vite fait, bien fait, et très artistique...*

*Tais-toi Ankou...Tais-toi...*

*Doucement, ma fille, doucement... Tu l'as pas amenée jusqu'ici pour qu'elle t'explose la tête d'une quelconque manière...*

Sinead écouta sa collègue d'un air absent, puis, lorsqu'elle eut fini, se tourna vers elle, le regard toujours perdu dans on ne sait quelles folies, mais visiblement - et malgré tout - prête. Elle reprit un air plus distant et le vouvoiement [Hrp : en anglais, ouais, heu... Bon, tant pis :p].

"La mettre sur écoute ? Si cette fille est réellement surveillée par les services anglais, croyez-vous que nous pourrons placer des micros, seraient-ils microscopiques ? Je n'en suis pas sure..."

Une fois Gabrielle sortie de la... Voiture, Sinead ferma cette dernière à clé avec un craquement sec d'aussi mauvais augure pour la voiture que le reste le laissait supposer. Elle sembla cependant ne rien avoir remarqué et se tourna nonchalament vers une direction, agitant la main vaguement. Elle énonça une adresse comme une leçon bien apprise.

"La Walker habite par là, à l'adresse que je vous ai donnée. Sinon, vous pourrez vérifier assez facilement à l'université même, car oui elle y étudie, du moins elle est censée y aller. Il semblerait qu'elle ait un emploi mais je n'en sait pas plus pour l'instant. Pas énormément d'amis. Vous savez, on la repère facilement, et la différence ne paie pas toujours en ce bas monde."

L'irlandaise masqua mal un rictus et reprit.

"Quant à la filature, si vous voulez, je peux largement m'en occuper la nuit... J'ai un sommeil assez troublé, voyez-vous, et comme vous avez pu le remarquer je suis assez réticente à l'emploi de médicaments..."

Elle joua un moment avec la boite de comprimés.

"De fait, j'ai du temps à utiliser la nuit. Ou le reste du temps, puisque je suppose que vous savez faire bien plus que des filatures et, de fait, aurez plus à faire... Je vous rapelle au passage que si l'uniforme qui est en ma possession est effectivement volé, l'arme m'appartient bel et bien, bien que je n'ai pas officiellement les autorisations pour la posséder. Je précise de même que les agents en Angleterre ne sont pas armés, contrairement à ce qui se fait dans vos Etats-Unis d'adoption, et que de toute manière mon Maüser n'est arme de service dans aucun pays d'Europe."

D'un geste rapide, elle rattrapa la boite de médicaments qu'elle venait de lancer en l'air puis la fixa un moment en faisant la moue.

"Tu avais des capacités et du potentiel, Gabrielle. Après ton départ, le directeur s'est arraché les cheveux pour tenter de trouver une alternative à son projet... Si seulement ces abrutis de psychiatres ne t'avaient pas shootée..."

L'Irlandaise lança la boite à sa légitime propriétaire.

"Tu as fini par admettre que ces informations étaient personelles, j'en conclus qu'une partie au moins de ta mémoire est revenue. Cette capacité que tu avais pourrais nous aider, qui sait ?"

Elle fixa le regard de Gabrielle, bien différent de ce qu'il était à son arrivée à Londres.

"...Mais j'admets aussi qu'il pourrait y avoir des changements notables de ton comportement. Des changements que des ignares soi-disant médecins cataloguent comme irrationels, des comportements qu'ils rangent dans le tiroir de la folie..."

Sinead écarta les bras théatralement.

"Mais peut-être suis-je la moins folle de tout ce troupeau d'humanité qui nous entoure, n'est-ce pas ? Il me semble que toi aussi tu avais un problème avec ces gens..."

Reprenant ne posture tout à fait normale, l'Irlandaise se racla la gorge et se dirigea vers le plus proche bâtiment, un grand hall.

"Mais bon... Si nous commencions par visiter un peu plus cette université ?"

L'idée des micros aurait été bonne si effectivement ils avaient été les seuls à espionner cette Maya Walker. Malheureusement, cela ne semblait pas être le cas. Ils devaient donc redoubler de prudence. Il se pourrait qu'ils soient confrontés à leurs propres confrères. Si c'était le cas, se serait terrible...cela ne devait absolument pas se produire, au nom de sa propre sécurité et de celle du Vatican.

Lorsque Sinead lui récita ce qu'elle savait sur Maya, Gabrielle se mit à nouveau à réfléchir. Ils avaient son adresse. C'était une première chose, cela leur permettrait de la suivre. Elle allait à l'université ? Très bien. L'université était un lieu aisé pour les filatures. Au pire, elle et Sinead n'auront qu'à se faire embaucher pour des petits emplois à la cafétériat, ou comme balayeuses, ou quelque chose comme ça, histoire de ne pas éveiller trop de soupçons. C'était un bon moyen pour récolter des informations, ou du moins sans doute meilleur que d'aller agiter sa plaque du FBI devant le nez des étudiants en faisant croire que Maya Walker était recherchée par la police secrète américaine...

*Et pourquoi pas, au fond...?*

*Qu'est-ce que tu veux encore toi ?*

*Si vous faites ça, elle prendra peur...ça prouvera sa culpabilité...et elle pourrait peut-être utiliser son pouvoir...*

*Quoi ? Mais de quoi est-ce que tu parles ?!*

*Le pouvoir de tuer !! Je veux le voir ! Force-la à l'utiliser ! Elle prouvera qu'elle est coupable ! Fais-le ! Fais-le !*

Gabrielle secoua frénétiquement la tête, une expression de haine flambant dans son regard. Fichu tourmenteur ! Toujours à tenter de lui faire faire n'importe quoi ! Si elle était coupable de quoi que se soit, l'effrayer serait la pire chose qui soit. Il pourrait y avoir d'autres victimes...et...

*Qu'est-ce que ca peut te faire que des vivants rejoignent l'autre sphère ?*

*Quand te taieras-tu, infâme parasite ! Laisse-moi réfléchir ou je te jure que je t'efface avec une bonne dose de médicaments !*

*Si tu fais ça tu ne seras plus en état d'enquêter. Laisse-moi t'aider. Je ne veux que ton bien, Gabrielle...comme avant...*

Gabrielle soupira et se tourna vers Sinead, tenta d'ignorer son double maléfique du moins qu'elle pouvait.

"Très bien. Il faudrait que j'analyse le comportement de cette jeune femme avant de pouvoir dresser une ébauche de son profil psychologique. La première chose à faire est de l'espionner. S'il n'y a aucun danger, nous tenterons de joindre son entourage, d'une manière ou d'une autre. Il faut que je lui parle, ainsi je pourrai sans doute deviner ce qui se cache dans son esprit..."

*Tout comme elle pourrait lire dans le tien...*

*Silence !*

Sa "collègue" étant partante pour la filature, Gabrielle n'y vit aucune objection, bien qu'elle décelait dans ses paroles une once de mépris et repproches. Certes, elle avait obéit docilement aux médecins de l'asile, elle. Mais...elle n'était qu'une enfant, non ? Elle n'avait pas le choix. Elle ne pouvait plus supporter...qu'est-ce qu'elle ne supportait plus, déjà ? Les voix ? Non. Il y avait autre chose. D'autres choses... Non...elle devait cesser d'y penser. Elle n'en avait pas le droit. Si elle tentait de se remémorer le cauchemar de son enfance, ses malaises pourraient reprendre... Il lui fallait des médicaments, et beaucoup de volonté. Sinead ne devait plus la perturber. Et Ankou devait se taire à jamais !

"Parfait. Je vous laisse donc les sorties nocturnes. Pour ma part je m'occuperai de la suivre dans la journée et de dresser un plan détaillé et chronologique de ses déplacements et rencontres. Dès que possible j'irai me procurer le matériel nécessaire. Etudions notre suspect n°1 quelques temps, ainsi que ses fréquentations, cela nous permettra de dresser un 'plan de bataille' pour prouver sa culpabilité et découvrir ce qui se cache derrière le simple nom de Maya Walker."

La voix de Gabrielle s'affaiblit peu à peu tandis que son regard suivait la boîte de comprimés. Bien qu'elle paraissait tout à fait bien et indifférente, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une sorte de malaise, comme si le fait d'être séparée de sa précieuse boîte de médicaments la rendait terriblement nerveuse. Elle tâcha de continuer d'ignorer la situation périlleuse que lui infligeait Sinead, mais ses mots eurent pour effet de lui imposer un violent flash-back. Pendant une fraction de seconde, elle se remémora le jour où une espèce de docteur fou l'avait attachée à la chaise de son asile en lui déblatérant des théories incompréhensibles sur l'au-delà et ses soi-disants pouvoirs de médium. Cette pensée la fit frissonner. Elle crut un instant ressentir la terreur qu'elle avait ressenti le jour où ce parapsychologue avait fait d'elle son cobaye...

*Quelle idiote...ce type était intelligent. Très intelligent. Il aurait pu faire de grandes choses avec toi. Traverser la porte vers l'autre sphère...mais tu as préféré jouer les égoïstes ! Tu as fuis ! Fuis la seule chance que tu avais de te venger des vivants...de ceux qui t'ont fait tant de mal...tsssk, idiote, tu es impardonnable ! Misérable pleurnicheuse ! Puisses-tu t'étouffer avec toutes les larmes que tu as pu pleurer au lieu de me remercier !*

Le regard de Gabrielle se fit plus triste. Heureusement, elle fut sortie de ses pensées par la boîte de médicaments qu'elle rattrapa de justesse. Elle la fixa un instant, une sensation de soulagement et d'appaisement traversant son esprit tandis qu'elle dévissa rapidement le capuchon et avala deux cachets en une seule fois.

*Je ne t'ai jamais rien demandé ! Disparais maintenant !*

*Tu es injuste...*

La voix d'Ankou résonna quelques temps dans son esprit. Mais cela ne durerait pas. D'ici quelques minutes, lla double dose de médicaments finirait par lui empêcher d'avoir des hallucinations de ce genre. Enfin, c'est comme ça que les médecins l'appelait. Ankou était une "hallucination". Rien de plus. Et ca ne devait pas être plus pour elle désormais. Sinead continua à parler d'elle, comme si la simple rencontre, ou plutôt l'affrontement qu'elles avaient eut par le passé était la chose la plus importante pour elle. Elle ne comprenait pas. Pourquoi ne l'avait-elle pas oubliée, après tout ce temps ? Pourquoi ?

"Ca suffit. Il n'y aura aucun changement dans mon comportement. Pourquoi crois-tu que je travaille pour le FBI maintenant ? C'est fini. Terminé ! Je ne suis ici que pour faire mon travail, je suis payée pour, et j'ai des engagements envers ceux qui nous emploient toutes deux. Donc à partir de maintenant je te prierai d'agir envers moi comme envers n'importe quelle collègue que tu as pu avoir, et non en tant que fantôme du passé. Tout ce qui m'intéresse ici, c'est cette Maya Walker. C'est tout. Et si tu me laisses prendre mon traitement il n'y aura absolument aucun problème de santé de ma part, pas même le moindre malaise."

Gabrielle avait dit cela sèchement, tâchant de paraître imposante et froide, ce qui n'était guère dans son habitude avec ses "nouveaux collègues". Quoi qu'il en soit, Sinead l'avait agacée, et avait réveillé en elle de biens sombres démons. Mais c'était la seule erreur qu'elle ferait. Maintenant, elle lutterait. Sinead ne la déstabiliserait plus. Elle devait ignorer ses paroles. Ignorer ces vérités tranchantes...

Sinead se dirigea alors vers un grand bâtiment que Gabrielle ne remarqua que maintenant. Comprenant qu'il s'agissait sans nul doute du début de leur première mission, la jeune femme inspira profondément et fit le vide en elle.

*C'est bon. Concentratiooon...allez ! On se reprend et on fonce. Si cette fille est liée à l'affaire Kira, je la veux !*

"Soit, commençons par l'université alors. Je n'ai rien contre un repérage des lieux. Je te suis." Dit-elle simplement.